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Dans les Cévennes, des cépages « interdits » plus vaillants face au changement climatique

En ce matin de fin d’été, un vent frais souffle sur les terres de Gilbert Bischeri. La veille, le 13 septembre, il a même neigé un peu plus haut, sur les monts cévenols. Dans le petit village d’Aujac, le Gardois vient inspecter ses vignes sans trop s’inquiéter de ce coup de froid. « Les raisins se portent très bien, on les récoltera en octobre, pas avant », estime-t-il en ­goûtant la baie d’une vigne datant de 1870. Ici, le septuagénaire cultive depuis trente ans quelque 800 mètres carrés hérités de sa famille, sur lesquels il a créé une parcelle témoin, « un conservatoire de la vigne », dit-il. Il y cultive des cépages qui ont tous la même particularité : il est interdit de commercialiser leur nectar sous l’appellation « vin ».
Mais Gilbert Bischeri, comme d’autres ­vignerons du secteur, fait de la résistance. Les cépages interdits sont même devenus son cheval de bataille. Dans cette partie des Cévennes qui épouse les contreforts du Mont-Lozère, du Gard et de l’Ardèche, et où les vignes s’épanouissent à flanc de coteaux, sur des parcelles souvent exiguës et inaccessibles aux engins à moteur, des vignerons rebelles se battent pour réhabiliter ces variétés hybrides (issues du croisement de vignes européennes et américaines), prohibées en France depuis 1934.
L’interdiction concerne six cépages – clinton, isabelle, noah, othello, herbemont, jacquez – qui ont été importés des Etats-Unis au XIXe siècle. « Face à la surproduction de vin, le gouvernement les a interdits. Ils ont été arrachés partout dans l’Hexagone sous prétexte qu’ils rendaient fous. Partout, sauf dans les Cévennes, explique Danny Peregrine, directeur de l’IGP (indication géographique protégée) Cévennes. Aux gendarmes qui venaient contrôler leurs vignes, les Cévenols répondaient : “Arrachez-les si vous voulez, mais nous ne le ferons pas”, car ici, on ­n’arrache pas ce qu’on a planté. »
Malgré ­l’interdiction, cette culture s’est donc transmise de génération en génération, dans cette région pauvre où les hommes travaillaient à la mine. « Ce sont des vignes que les mineurs ­cultivaient en treille pour leur consommation familiale, détaille Denis Verdier, président de Vins des Cévennes IGP. Ces végétaux robustes et simples à travailler se prêtaient bien à la culture en zone rurale de petite montagne. »
Aujourd’hui, des associations, comme Fruits oubliés réseaux, portée par Gilbert Bischeri, ou Mémoire de la vigne, créée par Hervé Garnier en Ardèche, œuvrent pour faire connaître ces cépages. Mais les productions doivent toujours être écoulées en toute ­discrétion. Gilbert Bischeri, qui a réalisé quarante-sept cuvées et produit six cents bouteilles par an, explique : « Ce sont des cuvées que l’on ne peut pas vendre, alors on les offre en échange d’une adhésion à l’association, ou nous les faisons déguster. » Ces associations, qui sont à l’origine d’un concours des cépages interdits, ont suscité l’intérêt des responsables de l’IGP Cévennes. « Au départ, on nous disait : “Ne perdez pas de temps avec ça, ce n’est pas bon”, explique Danny Peregrine, mais les dégustations nous ont convaincus du contraire. »
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